Extrait du livre épuisé de Colette Chabot A moitié Sage, édition Quebecor 1997, qui avait pour base des interviews de la télévision communautaire de Montréal.
Arnaud Desjardins : La voie consiste beaucoup plus à perdre ce qu’on a en trop qu’à acquérir ce qu’on n’a pas !
Arnaud Desjardins est un grand communicateur qui a non seulement toujours été habité par cette quête de l’essentiel, mais qui l’a aussi partagée avec un large auditoire tant par ses films présentés à la télévision que par ses conférences et ses livres. Ses propos sont très différents de ceux que l’on peut échanger avec toute autre personne ouvrant dans le milieu des communications. Avec lui, on peut, en effet, parler d’éveil, de sagesse, puisqu’il a connu à peu près tous les grands « héros spirituels » de ce siècle.
Né en 1925, Arnaud est fasciné par les récits de son grand-père, qui avait lui-même visité l’Inde et l’Himalaya. Il écoutait avec intérêt certains membres de sa famille parler avec admiration de Swâmi Siddhesvarananda de Gretz.
Comme beaucoup de jeunes hommes de sa génération, c’est par le célèbre Pèlerinage aux Sources, de Lanza del Vasto, qu’à l’âge de 23 ans, il découvre l’Inde mystique des yogis et des sages.
À 24 ans, il entre dans les groupes Gurdjieff et presque aussitôt, il doit interrompre toute activité pour passer plus d’un an au Sanatorium des Étudiants. Il a alors le temps de lire, et c’est ainsi qu’il découvre avec émerveillement tout ce que Jean Herbert a déjà publié et traduit. Il conserve pour celui-ci une gratitude et un respect qui n’ont fait que croître avec les années.
À la sortie du sanatorium, il retrouve avec ferveur les groupes Gurdjieff et toutes les techniques qui y sont enseignées. Cet enseignement est largement ouvert sur les autres spiritualités vivantes. Il continue de dévorer les livres avec une fringale qui mettra longtemps à s’apaiser.
Adjoint à la télévision en 1953, il devient réalisateur en 1956. C’est la même année qu’il découvre les « asanas » de yoga avec Shri Mahesh, avec lequel il devient ami.
En 1959, il part en Inde en voiture depuis Paris, désireux d’étudier sur place ce hatha yoga qui le passionne. Il séjourne quelque temps à Lonavla et à Rishikesh. Son épouse Denise le rejoint, et ensemble, ils se rendent à l’ashram de Ma Anandamoyi. Cette rencontre est, de loin, l’événement le plus important de toute son existence. L’intérêt d’Arnaud pour le hatha yoga cède alors le pas à la découverte du vedanta et des Upanishads. Il avait apporté une caméra et quelques bobines de film et, au fil des jours, il tourne dans les différents ashrams où il séjourne. Au retour, il obtient la diffusion de ce film sur l’antenne. Une série d’articles exceptionnellement enthousiastes décide de sa carrière.
De 1959 à 1973, il passe à peu près la moitié de son temps en Afghanistan et en Inde. En 1964, c’est la découverte du monde des Tibétains et l’abandon des groupes Gurdjieff.
En 1967, il passe plusieurs mois auprès de ces maîtres.
En 1965, il décide, avec la bénédiction de Ma Anandamoyi, de se rendre auprès d’un gourou inconnu du public : Shri Swâmi Prajnânpad. Âgé de 74 ans, celui-ci vit alors retiré dans un petit ashram du Bengale qui avait été celui de son gourou. Il parle anglais parfaitement et son expérience de brahmane et de sage se complète d’une importante culture occidentale. Arnaud peut avoir chaque jour une heure d’entretien en tête-à-tête avec le Sage.
À la mort de son gourou en 1974, Arnaud abandonne toute son activité de producteur de télévision et de conférencier, et se retire dans une maison isolée où quelques personnes accomplissent sous sa direction la démarche qu’il a lui-même suivie auprès de Swâmi Prajnânpad. Il est aujourd’hui établi à Hauteville (Saint-Laurent-du-Pape), en France.
Vous êtes considéré comme un éveillé. J’aimerais que vous nous disiez ce que c’est que l’éveil, et que vous nous parliez de l’état dans lequel vous êtes en permanence.
Je trouve qu’« éveillé » est un bien grand mot, tout comme les mots « libéré » ou « illumination », etc. J’aime mieux employer des mots plus simples. Il y en a un qui a beaucoup de sens pour moi, c’est le mot « guéri ».
À 24 ans, j’ai passé un an et demi de ma vie en sanatorium. J’en suis sorti complètement guéri. Je sens une réelle transformation dans mon existence, c’est sûr, sinon ce serait absurde d’écrire les livres que j’écris ou de porter les témoignages que je porte. Si je n’avais pas eu personnellement la preuve que cette démarche, dite « spirituelle », peut conduire quelque part, je ne témoignerais pas.
Ce que je ressens avant tout, c’est la gratitude pour tous ceux qui m’ont aidé et l’impression d’avoir trouvé ma place dans un certain monde, qu’on peut peut-être appeler, en effet, celui de la sagesse. C’est l’impression de ne plus du tout être seul. Je pourrais vous répondre en fonction de ce que je vois de souffrance chez les uns et les autres. L’impression de la solitude est très cruelle pour la plupart des gens. Même si je me trouvais seul, physiquement seul, ou même dans un milieu qui m’est hostile — ce qui peut se produire —, je n’éprouverais pas cette souffrance liée à la solitude.
C’est déjà un premier point : ne plus jamais se sentir seul. Deuxième point, c’est une stabilité, ne plus avoir de moment de tristesse, de moment de désarroi, de moment de doute. Je peux dire, sincèrement, que depuis vingt ans je ne me suis jamais réveillé sans être en pleine forme, que je ne me suis jamais couché un peu triste. Il y a là quelque chose qui est maintenant stabilisé. Mais cela a pris du temps.
En lisant vos livres, on peut se rendre compte, en effet, qu’à partir du moment où vous avez rencontré votre maître, il a fallu neuf ans d’effort. Pourtant, un travail intense avait été poursuivi pendant toutes les années qui ont précédé cette rencontre. On a le sentiment que quelque chose d’unique s’est produit à un moment, à une heure précise et qu’on pourrait quasiment vous demander à quel jour, à quelle heure, à quelle minute « la transformation » s’est produite.
C’est vrai. Il y a une longue maturation. On peut aussi être plus ou moins doué ! Des problèmes psychologiques au niveau ordinaire, plus ou moins importants, des insatisfactions, des divisions, des refus intérieurs peuvent retarder ce moment. Cela a pris beaucoup de temps. Ma recherche a été conduite de plus en plus méthodiquement. À l’âge de 39 ans, je pratiquais le yoga et la méditation depuis 16 ans déjà. Je faisais des séjours en Inde. J’avais aussi été dans ce qu’on appelait les groupes Gurdjieff, juste après la mort de celui-ci.
Puis j’ai rencontré Swâmi Prajnânpad, un maître indien très peu connu du public. Il parlait parfaitement anglais, aussi ai-je pu avoir avec lui des entretiens approfondis, quand j’étais en Inde.
À cette époque, la maturation s’est encore poursuivie dans l’existence, au cour des problèmes, des difficultés. J’ai eu une impression d’intensification de toute mon existence. Vu du dehors, certaines personnes pouvaient penser que je m’éloignais beaucoup de la vie spirituelle, si on la considère uniquement comme silence, recueillement et méditation. Je m’insérais de plus en plus dans la vie sous tous ses aspects, mais avec une nouvelle compréhension. Avec surtout une certaine manière d’accepter complètement tout ce qui était l’aspect difficile, douloureux, défavorable, désagréable de l’existence. Être beau joueur là, ne plus tricher !
Et puis un jour, ce maître m’a dit une simple parole alors que j’étais en face de lui. Il n’y a rien eu d’extraordinaire, cette parole n’est pas en soi tellement mystérieuse. Je lui parlais une fois de plus de la différence entre « être et avoir », un thème qui me touchait beaucoup à l’époque. Il m’a alors dit : « Être, c’est être libre d’avoir ». C’est tout.
Il s’est trouvé que cette parole a fait d’abord lever en moi un refus immense : « Non, jamais je ne lâcherai tout le monde de l’avoir » Et puis, soudainement, cette impression de sauter dans le vide intérieurement : « D’accord ». Et je peux dire, c’est vrai, que plus rien n’a été exactement pareil à partir de cette minute-là. Dans les jours qui ont suivi, j’ai eu l’impression peu à peu de reprendre pied sur terre, dans son ashram.
Puis, je suis rentré en France, j’ai repris ma vie habituelle encore pour quelque deux ou trois ans. À l’époque, je travaillais à la télévision, c’était mon métier. Donc, il y a bien eu, en effet, une certaine minute où ce qui s’était longuement préparé s’est tout d’un coup cristallisé.
Cet état dans lequel vous êtes semble être un état où vous ne cherchez plus. Avez-vous quand même certaines questions sur le sens du monde et des choses ? Ou même sur l’état dans lequel vous vivez ?
Pas vraiment. Mais ne l’entendez pas comme une perte d’intérêt pour l’existence. Au contraire. Si vous saviez combien j’ai posé de questions à des maîtres tibétains, à des maîtres hindous ! Maintenant, je ne sens plus la nécessité de poser des questions.
Par contre, ce qui est certain aussi, c’est qu’il y a un intérêt beaucoup plus grand pour tous les aspects, disons, ordinaires de l’existence. Autrefois, il me semblait que ce qui était important, c’était les minutes exceptionnelles ou de rencontrer des gens particulièrement intéressants. Et maintenant, sans aucun doute, je peux témoigner du fait que toute l’existence, même au niveau le plus ordinaire, si j’ose employer ce mot, a une richesse qu’elle n’avait pas autrefois.
Donc, le fait de ne plus avoir de doutes ou de questions à poser n’est pas du tout ressenti comme une diminution de l’intensité de la vie. Bien sûr, quand je dis que je n’ai plus de questions à poser, il y a naturellement des milliers de choses que j’ignore et, si j’ai l’occasion de m’informer de n’importe quel thème, c’est toujours avec intérêt et avec curiosité. Mais ce n’est plus vital de poser des questions.
Je vous ai entendu dire que, dans l’état d’éveil dans lequel vous êtes, vous ne saviez plus s’il s’agissait d’une absence ou d’une présence. Auriez-vous encore une sorte de questionnement personnel pour préciser ce que sont véritablement les choses ?
Non, la question c’est : « Quelle est la meilleure manière d’exprimer ? »
Vraiment ?
Alors oui ! C’est une des questions que je me pose beaucoup. Comment essayer de transmettre ce que j’ai reçu, ce qui me semble si précieux ? Comment partager une expérience qui, pour moi, est tout à fait convaincante ? Quels sont les mots qu’on peut employer ? Est-ce qu’il s’agit d’un état de « présence » ? C’est un terme qu’on pourrait employer. Est-ce un état d’« absence » ? L’état d’absence, c’est déjà un peu plus difficile à comprendre : il s’agit d’un effacement intérieur du moi, ou de l’ego, ou de la revendication égocentrique.
La voie consiste beaucoup plus à perdre ce qu’on a en trop qu’à acquérir ce qu’on n’a pas. C’est une phrase difficile à entendre tant elle contredit l’expérience ordinaire : il y a cela qui me manque, ce talent que je n’ai pas, cette capacité que je n’ai pas; si je pratique, si je m’exerce, je vais l’acquérir.
Alors que sur le chemin spirituel, il s’agit avant tout de perdre : perdre des habitudes, des habitudes émotionnelles, mentales, perdre des illusions — il y en a un bon nombre à perdre — et fondamentalement, perdre cette identification fondamentale à moi. Moi, dans le cas particulier, ce serait « moi, Arnaud Desjardins ». Donc, c’est vrai qu’on peut s’exprimer en parlant de présence et que c’est juste aussi de s’exprimer en parlant d’absence ou d’effacement intérieur.
En vous écoutant, il y a une question qui surgit. On sent que vous avez trouvé une paix. C’est ce que nous cherchons tous. Alors, quel serait le conseil que vous donneriez à quelqu’un qui serait sur le point de commencer une démarche comme celle que vous avez entreprise il y a plusieurs années, à ceux qui ne veulent pas se perdre ou à ceux qui ne veulent pas faire le tour de toutes les vitrines du matérialisme spirituel qui abonde aujourd’hui ?
Le conseil que je donnerais, c’est de trouver quelqu’un qui puisse le guider et ne pas compter uniquement sur ses dons, même si on en a, sur son intuition et sur ses lectures. S’engager, si possible, dans une voie qui a fait ses preuves, par exemple le bouddhisme tibétain, ou le bouddhisme zen, ou telle ou telle autre voie. Savoir qui a été le maître de celui auprès de qui on veut s’engager. Poser des questions sur la formation qu’il a reçue. De quelle tradition se réclame l’enseignant qui nous intéresse ?
Des réponses claires à ces questions offrent quand même certaines garanties. Ensuite, il faut faire confiance à quelqu’un et, comme on le dit, il faut suivre une voie particulière, avec une méthode. La dispersion ne nous permettra jamais de toucher un niveau suffisamment profond en nous.
Maintenant, à quelqu’un qui me dirait : « Mais qu’est-ce qu’il faut faire pour aller vers la paix ? », la réponse est très évidente. Pour trouver la paix, il faut cesser d’être en conflit, donc regarder où, dans quel domaine, extérieurement et avec quel aspect de moi-même est-ce que je suis en conflit.
Nous ne nous rendons pas toujours compte que tout en aspirant à la paix, nous fabriquons nous-même le conflit en vivant dans le refus, le non à ce qui est, les tensions. On ne peut pas trouver la paix sans faire la paix. C’est évident !
Si quelqu’un réussit à trouver le guide ou la personne qui peut l’aider, ça ne veut pas dire, pour vous, qu’il a enfin trouvé et qu’il va s’asseoir sur ses lauriers avec ce guide ?
Mais non, au contraire, le travail que l’on appelle « ascèse » commence alors.
Étymologiquement, ascèse ne signifie pas « vivre sur une planche à clous ». Cela signifie « s’exercer ». Un ascète, c’était quelqu’un qui s’était beaucoup exercé.
Une fois que vous avez trouvé l’enseignant, si je puis dire, le professeur, il va falloir faire les gammes pendant des années et des années. Ah oui !
Dans votre livre En relisant les Évangiles, vous dites : « J’ai approché des sages, c’est ce qui m’a sauvé ». Comme les sages ne courent pas les rues, la vérité peut-elle s’imposer à nous d’elle-même ?
La vérité ne cesse pas de s’imposer à nous. La vérité, c’est ce qui est, à tous les niveaux, depuis le niveau de surface jusqu’au niveau le plus profond. Mais nous ne cessons pas en même temps de la refuser cette vérité, dès qu’elle ne nous convient plus. Voilà. On peut prendre appui sur la réalité ou la vérité en donnant à ce mot un sens très simple.
Mon propre gourou m’avait raconté une petite histoire tout à fait éloquente à ce propos. À l’époque de sa propre recherche, comme beaucoup d’Indiens, il courait ici et là à la recherche du Maître, du Sage, de la Vérité. Il rencontra alors un ascète qui vivait sous un arbre. Il demanda à ce yogi : « Qu’est-ce que la vérité ? » et le yogi lui répondit : « La vérité, c’est que je suis assis sous cet arbre et que vous êtes assis en face de moi ». J’ai compris, quand Swâmiji m’a raconté cette histoire, qu’il voulait me dire de bien poser les pieds sur terre dans ma recherche.
Est-ce que l’état d’éveil conduit à une exclusion de la confusion ou à une intégration de la confusion qui survient dans le tourbillon de la vie quotidienne ?
Je vous répondrai qu’il s’agit toujours d’intégration et jamais d’exclusion.
Peut-être pourrait-on faire une différence entre certaines voies, le bouddhisme des origines ou les voies religieuses, où on se retire considérablement du monde pour en fuir les tentations afin que toute notre énergie soit centrée sur la recherche exclusive de Dieu ou de l’éveil intérieur.
Mais sur le chemin qui fut le mien, il s’agit d’enrichir notre expérience et surtout notre possibilité de compréhension. Ne pas exclure, au contraire intégrer ou comprendre, au vrai sens du mot « comprendre », qui signifie « inclure ».
Puis, pour employer la traduction d’un mot hindou très utilisé, devenir intérieurement de plus en plus vaste, « all embracing », afin qu’aucun aspect de la réalité ne nous soit complètement étranger. Cela ne veut pas dire que nous devons pactiser avec tous les aspects de la réalité ou que nous devons devenir nous-mêmes débauchés par amour des pécheurs, ou alcooliques par amour des alcooliques. Mais nous ne pourrons plus vivre un sentiment de rejet, de jugement ou de condamnation pour quoi que ce soit ou qui que ce soit.
Mais quand une personne entreprend une démarche personnelle puis se retrouve, par exemple, dans un ashram, est-ce que ce n’est pas là une démarche qui cherche à l’exclure de la confusion du monde extérieur ?
Il y a deux approches.
Il y a le fait de venir vivre à tout jamais dans un ashram, ce qui peut se faire en Inde, comme on vivrait dans un monastère.
Et puis il y a les voies qui se confondent avec l’existence, ce qui a été le cas pour moi où j’ai dû faire face à ma vérité, aux désirs, aux ambitions que je portais en moi et que j’avais trop souvent tenté de nier au nom d’un idéal spirituel. Et là, mon propre maître m’a ramené dans ma réalité, tel que j’étais. Une de ses formules, c’était : « Soyez fidèle à vous-même, loyal par rapport à vous-même, tel que vous êtes situé aujourd’hui ». Donc, j’ai dû reconnaître ce que je portais en moi de désirs et de peurs tout à fait humains. J’ai dû essayer d’être de plus en plus à l’aise. C’est un mot simple, n’est-ce pas, mais c’est un très bon mot. « À l’aise » peu à peu dans toutes les circonstances.
On vit dans un monde où tout est relativement facile, où on est habitué à ce que les choses se produisent rapidement. On presse sur un bouton et un diner sort de la machine. Et à vous entendre parler, après les lectures que j’ai faites, il me semble que la démarche spirituelle, c’est une ascèse, comme vous l’avez dit, c’est une discipline dont on n’imagine pas le prix à payer. Sur la voie, au fur et à mesure de la pratique, on se rend compte que ça exige énormément. Quelle sorte de brûlure ou de question existentielle nous amène à nous engager totalement sur une voie comme la vôtre ?
Cet engagement total vient peu à peu. Il y a deux motivations au départ qui peuvent, très bien d’ailleurs, être conjointes.
L’une, c’est d’en avoir assez de souffrir, année après année, et tout d’un coup d’être sensible, de prêter l’oreille à des enseignements qui ont l’audace de promettre la possibilité de dépasser toute souffrance quelles que puissent être les conditions concrètes de nos existences. Donc, c’est pour fuir une condition insatisfaisante, frustrante, douloureuse.
Et l’autre aspect, c’est d’avoir été attiré ou peut-être même fasciné par l’idée même de la sagesse ou de l’éveil, et surtout — mais à cet égard, nous sommes moins favorisés que les Orientaux — d’avoir rencontré des sages, authentiques, indiscutables, de très haut niveau, auquel je ne prétends pas me situer moi-même. Voir des hommes et des femmes qui sont vraiment des témoins rayonnants. Alors ce que j’ai lu dans les livres est vrai, je l’ai là sous les yeux ! C’est une expérience unique, très forte, qui est tout à fait traditionnelle. Et comprendre qu’il y a quelque chose à découvrir, un éveil possible, si nous employons ce mot. Je ne peux pas passer toute mon existence, même une existence heureuse et avec une certaine dignité, sans avoir découvert cet accomplissement maintenant que je sais qu’il est possible. Alors peu à peu, cette aspiration intérieure prend le pas sur toutes les autres.
Mais je crois que cela ne peut se faire que peu à peu. Sinon, il y a des retours de manivelle terribles et, après avoir cru que rien d’autre ne nous intéressait que la spiritualité ultime, on peut se réveiller dans le désarroi, être submergé par une fascination amoureuse irrésistible, ou une ambition qui se lève tout d’un coup, dont on ne savait pas qu’elle était là, en nous, à l’état latent.
Il y a quand même très peu de gens, finalement, qui ont la chance de rencontrer des sages. Il faut déjà être sur la voie…
Vous savez, il existe en Inde une formule célèbre, qui est partout répétée : « Quand le disciple est prêt, mûr, le maître se révèle ». Il ne se révèle pas miraculeusement, mais la rencontre se fait. Et cela, je l’ai, en fait, toujours vérifié. Est-ce qu’il s’agit d’un intérêt pour la spiritualité, ce qui est déjà tout à fait légitime, ou est-ce qu’il s’agit d’une nécessité qu’on porte en soi et qui devient irrésistible ?
Cette nécessité serait-elle à l’origine de la recherche dont vous parlez ?
Oui, et c’est cette nécessité qui fait qu’on rencontrera celui qui peut nous guider, nous, parce que c’est assez personnel. Je connais des Occidentaux qui ont trouvé leur voie dans le bouddhisme tibétain, qui ont appris le tibétain et pour qui cela représente un engagement profond qui n’a rien à voir avec un intérêt folklorique. Bien que j’aie été assez proche en Inde de maîtres tibétains dans les années 66, 67 et 68, je n’ai pas senti que c’était la voie dans laquelle je pouvais m’engager, moi.
On parle de spiritualité orientale, mais dans les pays où la tradition chrétienne reste très forte, il est permis de se demander ce qu’un catholique, qui veut rester avec l’Évangile, peut avoir à sa disposition pour approfondir sa spiritualité. Est-ce qu’il doit nécessairement se tourner, comme vous, vers l’Orient ?
Cela peut aider pour retrouver l’idée essentielle d’une spiritualité vivante. Vivante !
Mais un théologien, un prêtre vous répondrait que le catholique a les sacrements.
Moi, je vous dirais, c’est ma conviction, qu’il a l’enseignement donné par le Christ, dans les Évangiles. Je dirais le Christ en tant que maître spirituel, ou même pour employer un mot aussi à la mode, en tant que « gourou ». Je ne parle même pas là de la théologie de la mort, de la résurrection et de la rédemption. Si on redécouvre les Évangiles, peut-être en ayant fait le détour par un maître hindou ou tibétain, la méditation, l’intériorisation, plus de lucidité, plus de conscience, plus de vigilance, les paroles du Christ dans les Évangiles prennent un sens tellement plus riche, plus motivant, plus passionnant et plus moderne que ce que nous avons découvert autrefois au catéchisme ou dans nos éducations religieuses respectives. C’est un peu ce dont j’ai voulu témoigner dans le livre En relisant les Évangiles.
Dans ce livre d’ailleurs, vous parlez du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et du Royaume intérieur d’une façon inédite. Pouvez-vous répéter ?
Ce que je dis du Père, du Fils et du Saint-Esprit, tout prêtre le fait… (rire)
Non, pas comme vous l’avez fait dans ce livre.
J’ai été élevé dans le christianisme, dans le protestantisme français qui est très unifié, donc nourri de l’Ancien et du Nouveau Testament.
J’ai d’abord compris une chose, c’est que le mot « Père », celui qu’emploie le Christ, se mêlait inévitablement dans notre esprit à l’expérience que nous avions eue de notre propre père, en chair et en os, comme enfant. L’idée que nous nous faisons d’un père vient donc avant tout de la relation plus ou moins heureuse, ou parfois un peu difficile avec notre propre père. Alors qu’en fait le mot araméen « Abba » signifie vraiment « papa »; au sens le plus tendre, le plus chaleureux. Mais tant que l’idée d’un père sera celle d’un père sévère, d’un père qui peut se tromper, d’un père qui peut finalement nous faire du tort par ses maladresses éducatives, ou d’un père qui est là pour nous interdire de faire ce que nous avons tellement envie de faire et pour nous obliger à faire ce que nous voulons avant tout ne pas faire, on ne peut pas vraiment ressentir la promesse, l’espérance immense de liberté, de libération, qui est incluse dans les Évangiles. C’est un point crucial.
Pour qu’une approche religieuse fondée sur la représentation de Dieu, comme Père soit vraiment efficace, il faut que ce mot « père » soit pour nous le mot le plus beau que nous puissions entendre et le plus beau que nous puissions prononcer; ce qui n’était pas le cas pour moi, et ce qui est d’ailleurs rarement le cas.
Ce sur quoi insiste l’Orient, c’est la dimension du christianisme qui a été trop méconnue et toute la perspective ascétique et mystique, dans laquelle le moine ou le contemplatif « cherche » Dieu ou cherche la rencontre avec Dieu au plus profond de son propre cœur. Et à ce moment-là., on ne traduit plus le royaume de Dieu est « parmi vous », collectivement, mais « au-dedans de vous », dans la plus profonde intimité. Et là, nous rejoignons l’idée de base de toute la spiritualité hindoue ou bouddhiste ou soufie dans l’islam : en vous-même, au plus intime de vous-même, au cœur de votre cœur, c’est là que vous trouverez Dieu et, je dirais, la vérification d’une parole de saint Paul bien connue et qui a un tel contenu : « Dieu n’est jamais éloigné de nous, en Lui nous avons l’être, le mouvement et la vie ». Tous, même ceux qui persécuteraient les chrétiens.
Est-ce que je suis vraiment conscient que tout ce que j’ai d’être, d’existence, de vie, je le tiens de Dieu lui-même, c’est-à-dire de la réalité ultime qui sous-tend tout cet univers, toute cette création ?
Vous dites aussi que la période que nous traversons est la plus anti-spirituelle. Or on n’a jamais vu autant de chercheurs, autant de formes nouvelles abonder pour tenter de répondre à ces besoins. Qu’est-ce qui fait la différence, selon vous, entre un enseignement et un autre, une recherche et une autre ?
Quand je dis que nous vivons à une période et dans une société anti-spirituelle, c’est une accusation grave que je porte. Je le dis en connaissance de cause, après avoir vécu dans des mondes très différents, en Asie — monde musulman, monde hindou ou monde bouddhiste.
Mais le réveil spirituel dont vous parlez, qui s’accomplit d’ailleurs dans une certaine confusion, un certain désordre, il se fait à l’intérieur d’une société, dont nous sommes tous, et je m’implique, les produits, dans laquelle nous avons grandi, qui nous a imprégnés depuis notre enfance, dans le contexte d’une société qui, elle, n’est plus dominée par les valeurs spirituelles. Ou, pour employer d’autres termes, les valeurs de l’être ont presque disparu et ce sont les valeurs de l’avoir qui triomphent aujourd’hui.
Et même en redécouvrant l’idée de la spiritualité, ou en redécouvrant les enseignements traditionnels ou certains aspects du christianisme, nous le faisons à partir d’une très forte imprégnation de ce monde moderne, profane. Si nous rencontrons un maître qualifié dont nous voulons devenir le disciple, nous ne partons pas du tout du point de départ d’où partent, encore aujourd’hui, le Tibétain et le musulman qui ont grandi dans un tout autre contexte. Cette différence d’imprégnation intime par une culture entière, je l’ai découverte peu à peu, et cela va plus loin qu’on ne le devine au premier abord.
Quant au réveil spirituel d’aujourd’hui, il faut bien dire qu’il y a à boire et à manger. Le meilleur et le pire se côtoient, et la situation est de plus en plus confuse. Les médias s’emparent du phénomène des sectes pour en faire un épouvantail, ce qui ne facilite pas toujours la tâche de ceux qui veulent s’engager dans une voie spirituelle et qui, aux yeux de leur famille, paraissent avoir un comportement aberrant, inquiétant, désespérant. Je pense que c’est aussi vrai au Québec qu’en France.
On confond beaucoup les approches psychocorporelles et la vie spirituelle. Dans vos livres, vous faites souvent référence au lying. Qu’est-ce que le lying ?
Auprès du sage hindou dont je me réclame, nous avons découvert une pratique étonnante qu’il avait mise au point lui-même. Nous étions cinq hommes et quatre femmes à qui il avait proposé de s’allonger comme sur le divan du psychanalyste, le mot lying signifiant simplement « être couché », par opposition à un terme que ce maître utilisait, soit le mot sitting, pour désigner les entretiens que nous avions avec lui. Il nous avait dit, en effet, à un certain moment : « Allongez-vous, laissez-vous aller complètement et laissez s’exprimer ce qui a été réprimé, laissez sortir ». Les indications étaient simples. À certains égards, on peut comparer le lying à l’abréaction des débuts de la psychanalyse.
Ce qui faisait l’originalité de ce lying n’était pas de revivre intensément des souvenirs plus ou moins traumatisants ou déchirants de la petite enfance, ou même de l’adolescence, mais de le vivre dans le contexte d’une ascèse d’ensemble traditionnelle qui s’appuyait sur les Upanishads et le vedanta, la partie la plus métaphysique de l’hindouisme.
Donc, le lying en lui-même ne peut pas être considéré comme une thérapie, une psychothérapie que l’on puisse extraire de l’ensemble de la voie proposée par Swâmi Prajnânpad.
Cela veut dire qu’il n’y a pas, au Québec par exemple, de thérapeutes qui puissent dire : « Ah ! moi, je fais tel type de thérapie, le lying certifié par l’ashram d’Arnaud Desjardins ? »
Si, il y a une personne « certifiée » ! Il s’agit d’Eric Edelmann, qu’un groupe de Québécois a invité à venir séjourner en permanence au Québec entre les séjours que je fais moi-même, ici, chaque année, et que j’ai bien l’intention de poursuivre, car je suis tombé amoureux de ce pays.
Eric Edelmann, entouré d’un petit groupe de Québécois très motivés, s’est installé maintenant à quelques kilomètres de Montréal. Il est pleinement qualifié — il a reçu vraiment une formation complète — pour aider à approfondir ce que j’écris dans mes propres ouvrages, et pour pratiquer ce lying.
Mais on ne peut pas considérer le lying comme une thérapie indépendante de l’engagement dans l’ensemble de cette démarche. Je précise cependant que c’est une démarche qu’on peut poursuivre tout en étant père de famille, employé, professeur ou médecin.
On a fait état de la confusion, du bouillonnement de voies et de tout un commerce pseudo-spirituel. Cette confusion a déjà blessé passablement de personnes. Qu’est-ce qu’il faut dénoncer, s’il y a des choses à dénoncer ?
Ce qui est d’abord à dénoncer, c’est l’espérance mensongère — qui ne peut conduire qu’à la frustration — de la transformation intérieure, je ne dis même pas éveil ou libération, à bon compte et à bon marché. Quand on propose un stage d’éveil en un week-end ou en un séminaire de quelques jours, c’est faux.
Aussi loin que nous ayons des témoignages, qu’ils soient bouddhistes, hindous, chrétiens ou qu’ils proviennent d’autres voies, on insiste toujours sur la persévérance, l’acharnement même, qui sont nécessaires pour éliminer peu à peu tous les obstacles intérieurs que nous portons en nous-même.
C’est donc vraiment un mensonge de faire croire qu’une recette magique va produire la réunification des énergies, la réconciliation avec soi-même, l’aisance, la liberté, la spontanéité dans l’existence, enfin tout ce à quoi chacun aspire, à bon compte. Quand je dis « à bon compte », je parle ici du nombre de jours parce que ce n’est pas toujours à bon compte en ce qui concerne le chèque à verser d’avance…
Dans son livre Confidences impersonnelles, Gilles Farcet relate le fait qu’au moment où vous avez bâti votre ashram, vous avez travaillé avec une telle intensité que cela a provoqué un état de fatigue chronique chez vous. On a dû vous hospitaliser et vous aviez, en apparence, tous les symptômes de la maladie d’Alzheimer. J’ai lu que vous vous étiez alors documenté sur cette maladie-là. Vous avez donc appris que vos neurones allaient s’éteindre et que vos facultés intellectuelles allaient s’affaiblir jusqu’à l’anéantissement de votre lucidité. Il semblerait alors que vous n’ayez pas été inquiet ni désespéré. Est-ce possible ?
Oui. J’ai travaillé de douze à treize heures par jour pendant plusieurs années. Le dimanche, je ne travaillais que sept heures seulement, parce que c’était mon jour de repos. J’ai été extrêmement actif et je ne le regrette pas. J’étais tout à fait unifié pour l’être. Mais j’ai dû constater que j’étais allé trop loin. Je ne trouvais plus mes mots, je disais un mot pour un autre. J’allais au téléphone, mais je ne savais plus du tout quel appel téléphonique je voulais donner.
Et comme j’ai un gendre psychiatre, il s’est tout de suite dit : « Ce n’est pas seulement un peu de fatigue. Cela pourrait être plus grave ». Il m’a proposé : « On va aller faire une consultation à l’hôpital. Je t’emmène ». Et puis il m’a tendu un petit piège : je me suis retrouvé à l’hôpital, hospitalisé pour passer une série d’examens : scanner, électroencéphalogramme, etc. Je me suis dit : « Tiens, ça va un peu loin ». Alors, une fois sorti de l’hôpital, je lui ai demandé : « Qu’est-ce qu’ils t’ont dit ? » « Hum… » « Non, tu me dois la vérité ! ». Il me tendit un papier sur lequel était écrit : « Diagnostic : début insidieux de la maladie d’Alzheimer » Je n’avais pas idée de ce que c’était. Je Lui ai donc demandé : « Qu’est-ce que c’est ? » Il avait prévu le coup parce qu’il m’a tendu un gros manuel de psychiatrie qui s’ouvrait juste à la bonne page. Et je lis : « Le sujet se voit en quelques années sombrer dans la déchéance la plus totale ». À la cinquième ligne, j’avais compris.
Alors, effectivement, je peux porter témoignage en ce qui concerne la méthode que j’ai suivie moi-même et rendre hommage au maître qui m’a guidé, car cela a fait lever un mouvement immédiat, total, de lâcher-prise, d’adhésion, de « oui », sans aucune crainte. En rétrospective, il se pourrait qu’en profondeur, une intuition presque biologique savait que le diagnostic était faux. Parce qu’en fait, il ne s’est pas avéré juste. La maladie en question évolue en effet implacablement en quelques années, alors que, dans mon cas, tous les symptômes en question ont disparu. Mais j’ai vécu ce qu’on appelle communément le lâcher-prise — je crois que c’est le mot le plus utilisé — ou le « oui ». Le « oui » à tout. J’ai vu que le « oui fou », le oui absolu était possible.
Nous comprenons bien ce « oui » à toutes les situations de la vie. Mais il est peut-être moins spontané pour une mère qui va perdre son enfant.
C’est évidemment une des situations les plus cruelles, les plus douloureuses qui soient. Ma propre fille a perdu un bébé de onze mois; donc, à travers ma fille et mon gendre, je sais un peu de quoi il s’agit.
Le « oui » en question, cette adhésion à la réalité, n’exclut pas l’action. C’est le point sur lequel on doit d’abord être tout à fait clair ; sans cela, il y a une confusion insupportable. « Alors mon enfant est malade, je dis oui et j’attends ? » Non, votre enfant est malade, vous dites : « Oui, il est malade » et vous appelez le médecin. En quoi est-ce que ma révolte, mon déchirement, ma souffrance vont changer la situation ? En fait, en rien. Quelle est la vérité ? Ou la réalité ? C’est : l’enfant a tel type de maladie, peut-être la leucémie, qui est une maladie terrible.
Il importe de distinguer complètement l’action possible et l’adhésion à la réalité, parce que c’est la réalité de comprendre que l’émotion n’a aucune utilité concrète. Elle ne peut au contraire que brouiller l’action et prendre énormément d’énergie qui se dispersera en souffrance, en pensées, en affolements, nous laissant tellement moins de disponibilité pour nos autres activités.
Si nous prenons l’exemple cruel, que je ne peux pas prendre à la légère, d’une mère qui a perdu un enfant, si elle se montre trop désespérée, elle ne pourra plus être vraiment une mère pour les autres enfants qui lui restent encore. Donc, son désespoir non seulement ne fera pas renaître le bébé qu’elle a perdu, mais va compromettre l’épanouissement des enfants encore vivants.
Un déchirement pareil, nous n’en vivons pas tous les jours de notre existence, alors que des contrariétés, des occasions de dire : « Ah non ! Quoi ? Encore ! Ce n’est pas vrai ? », Toutes ces mille et une formes de refus, nous en vivons à longueur de journée. Ce qui représente l’opposé de la paix dont nous parlions tout à l’heure, et là, quelque chose peut devenir très vite convaincant. Je ne veux plus vivre en porte-à-faux perpétuel avec la réalité concrète ; je veux vivre en adhésion ou, pour employer un terme technique, en non-dualité par rapport à cette réalité, la vérité de ce qui est.
En somme, si l’on vous comprend bien, on pourrait dire que « spiritualité » voudrait dire « établissement dans la réalité » ?
Oui, sans aucun doute. L’établissement dans la réalité. En anglais, il y a des termes plus forts qu’en français, des expressions que j’ai vues abondamment dans la littérature hindoue et bouddhique : isness, suchness, thatness. Le fait que les choses sont ce qu’elles sont, et pas autrement.
Vous avez rencontré Mâtâ Amritânandamayî, qui est considérée comme la plus grande sainte contemporaine de l’Inde. Pouvez-vous nous en parler ?
Je l’ai rencontrée en France, et j’ai été tout de suite convaincu de son authenticité.
L’Inde, vous le savez, exporte de tout, mais je n’aime pas porter de jugement. C’est une femme issue d’un milieu social modeste. Elle ne tient pas compte des règles assez rigoureuses de l’orthodoxie hindoue : entre autres, en Inde, une femme ne touche jamais un homme.
Amritânandamayî donne un récital stupéfiant, éblouissant, d’amour, ce dont tout le monde rêve, le mot le plus merveilleux et le plus cruel en même temps. Pendant — je dis ce que j’ai vu — huit, neuf ou dix heures de suite, elle accueille dans ses bras tous ceux qui défilent devant elle : hommes, femmes, enfants. Elle regarde chaque être humain avec le regard émerveillé d’une mère, d’une maman éblouie en contemplant son bébé; elle serre dans ses bras, contre son cœur, vieux, jeunes, hommes, femmes. Peut-être même quelqu’un qui a commis un crime la veille. Elle ne veut pas le savoir. Puis de nouveau, elle regarde la personne un moment. Cela dure une moyenne de 40 secondes, pas trois secondes juste pour donner une bénédiction rapide à 1000 ou 1500 personnes à la suite. Elle dégage le même amour, la même expression d’heure en heure, et ce, sans fatigue, sans lassitude. Au bout de quelques heures, on se dit : « Mais c’est quand même extraordinaire ce qui émane d’elle ». C’est un aspect de sa présence.
L’autre aspect, sur lequel j’ai eu de nombreux témoignages, c’est que pour ceux qui vivent dans son ashram en Inde, ou qui la suivent dans ses déplacements, il s’agit d’une ascèse très dure.
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