De la condition (noire) humaine

« Tu es noire, tu es petite, tu es une femme, et tu vas devoir lutter », c’est le conseil que reçoit Anouchka Gueye de sa mère lorsqu’elle part s’installer en France.

Un conseil que nous, les femmes indépendamment de notre couleur de peau, avons souvent entendu. Cette idée a agi silencieusement en nous et influé sur nos choix de vie. Nous l’avons tellement bien assimilée qu’elle est devenu un élément fondateur de notre identité.

Anouchka Gueye est écrivain, bloggeuse, professeur de yoga et de méditation. Elle a, aujourd’hui, pour passion d’aider les autres à découvrir leur immense potentiel et à transformer leur vie. Elle est déterminée à inspirer les gens à réaliser leurs rêves, et à prendre en main leur santé et leur bien-être. Son premier ouvrage, « Le crépuscule d’un nouveau monde », est un témoignage de sa résurgence en tant que femme.

Je partage ci-dessous un article « De la condition (noire) humaine » qu’elle a publié dans Jeune Afrique.

« Tu es noire, tu es petite, tu es une femme, et tu vas devoir lutter », m’a dit ma mère quand j’ai quitté le nid familial pour la France, après mon baccalauréat.

Avec ces mots, ma mère me traçait un chemin de lutte et de constante nécessité de se prouver dans un monde de brutes. Et c’est ce que je me suis évertuée à faire pendant une bonne partie de ma vie : prouver que j’étais aussi capable que les autres, que j’avais des « couilles », que je pouvais m’en sortir malgré ma couleur de peau ingrate.

Ce sceau au fer apposé sur moi a coloré ma destinée jusqu’à ce que je découvre que j’étais plus que ma couleur de peau. Une phrase entendue, un jour, dans un monastère bouddhiste au Népal a changé mon existence et m’a libérée – car celui qui marche et qui est conscient de ses chaînes est définitivement plus libre que celui qui n’en a pas conscience :

« Méfiez-vous de tout ce que vous accolez après les mots « je suis », car dire « je suis » peut vous enfermer dans une identité. »

Cette phrase a fait voler en éclats tout ce en quoi je croyais.

Nous nous identifions sans cesse : « Je suis avocat », « je suis l’épouse de », et nous pensons que ce moi que nous décrivons c’est ce que nous sommes réellement. Alors quand nous perdons cette identification, c’est la tragédie. J’en sais quelque chose, j’ai déjà tout perdu dans ma vie : mon statut d’avocate, mes biens, mon statut de conjointe.

Nous sommes persuadés que pour survivre, nous avons besoin de nous identifier à ce que nous faisons et à ce que nous avons, qu’il s’agisse d’objets que nous possédons ou de personnes. Nous sommes attachés à ce à quoi nous nous identifions. Nous sommes attachés à nos maisons, nos amis ; à nos idées, nos opinions ; au regard que nous portons sur le monde. Mais cet attachement nous emprisonne.

L’esclavage n’existe plus mais l’oppression est toujours là, dans nos têtes

Prenons l’exemple de la nationalité. Lorsque l’on nous demande d’où nous venons, c’est avec fierté que nous répondons : « Je suis sénégalais », « je suis gabonais ». C’est faire fi du fait que la partition de l’Afrique et la définition des frontières ont été des actes arbitraires, imposés par les Européens.

C’est s’identifier exclusivement à un territoire en créant des frontières mentales et physiques avec les autres populations. C’est surtout se placer soi-même dans une petite boite exiguë avec pour seul label sa provenance géographique. C’est enfin, et par-dessus tout, se nier le droit de saisir la pleine mesure de ce que l’on est vraiment.

La réalité c’est qu’il est temps de sortir de ce processus mental qui nous empêche de garder l’esprit ouvert. L’esclavage n’existe plus mais l’oppression est toujours là, dans nos têtes. Nous créons nos propres chaînes et perpétuons de génération en génération notre statut de victime.

Car c’est se victimiser que penser que la promotion qui nous est passée sous le nez, le changement de place de la personne qui se trouvait assise à côté de nous dans le métro sont nécessairement dus à notre couleur de peau. Même si je ne nie pas qu’il y aura toujours des ignorants sur cette Terre pour nous lancer dans la rue des « sale noir », « retourne dans ton pays » ou autres paroles imagées, c’est leur problème. Peu importe ce que les gens pensent de vous, ne les laissez pas vous freiner, gardez le sourire et avancez.

Il est primordial de comprendre qu’il n’est pas nécessaire de nous labelliser nous-mêmes, et encore moins d’en apporter des déclinaisons telles que « chabine », « neg’ marron », « teint clair » etc. En agissant ainsi nous perdons de vue ce que nous sommes réellement.

Nous sommes des êtres humains. Notre cœur n’a pas de couleur, notre esprit n’a pas de couleur. Nous sommes des êtres humains et nous l’avons toujours été. Ce qui s’est produit dans le passé appartient au passé. Il est temps d’arrêter de se sentir opprimés.

Aujourd’hui, je me sens libre grâce à tout ce que j’ai appris et je sais que je me livre à un exercice périlleux lorsque j’utilise « je suis » : je suis fière de ma culture qui est d’une richesse incomparable ; je suis le baobab, résistante à toutes les intempéries, je suis la joie de vivre qui caractérise ceux qui savent se réjouir simplement d’être vivants, je suis la chaleur rassurante de la communauté où chacun se soucie de l’autre. Mais je suis encore bien plus.

Je suis une citoyenne du monde, dont le cœur reste ouvert à mes frères qu’ils soient jaunes, verts ou gris. Je suis un être spirituel, sur Terre, pour vivre une expérience simplement humaine.

Sources :

https://www.anouchkagueye.com/fr/a-propos/

http://www.jeuneafrique.com/442280/societe/de-condition-noire-humaine/

Crédit photo : Shantelle McLin

https://pixabay.com/fr/petit-enfant-jeune-fille-curieux-945784/

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