Ce livre collectif est dirigé par le psychologue Jean-François Marmion. Une lecture jubilatoire qui analyse la bêtise sous toutes ses formes.
De l’étude scientifique des cons par Serge Ciccotti, à la typologie des cons par Jean-François Dortier ; en passant par la théorie des connards et la réponse à la question pourquoi nous trouvons du sens aux coïncidences… On découvre, au fil des pages la connerie comme délire logique avec Boris Cyrulnik et les raisons pour lesquelles nous consommons comme des cons expliquées par Dan Ariely.
Alors que Stacey Callahan nous donne des pistes pour vivre en paix avec nos conneries, Jean-Claude Carrière nous questionne : et si la pire bêtise, c’est de se croire intelligent ?
Un livre sérieux et très drôle dont la lecture nécessite un avertissement que formule, dans les premières pages, Jean-François Marmion :
« …Le comble du con, c’est qu’il est parfois intelligent, cultivé en tout cas : il brûlerait bien des livres, et leurs auteurs avec, au nom d’un autre livre, d’une idéologie, ou de ce que lui ont appris de grands maîtres (cons ou non), tant il a le chic pour transformer sa grille de lecture en barreaux de cage. […] Le doute rend fou, la certitude rend con. […] Amer constat, la légitime défense est un piège. Essayez de raisonner le con, de le changer, vous êtes perdu ! Car si vous estimez de votre devoir de l’amender, c’est que, vous aussi, vous prétendez savoir comment il devrait penser, se comporter… en l’occurrence, comme vous. Et vous voilà con. […] Tentez d’améliorer un con et, non content d’échouer, vous l’aurez renforcé, et imité. Il n’y avait qu’une andouille, en voilà deux. Lutter contre la connerie la renforce. Plus on s’attaque à l’ogre, plus il cannibalise… »
Pourquoi les gens très intelligents croient-ils parfois à des inepties ?
« Tous les efforts d’éducation que les sociétés démocratiques ont consentis paraissent avoir oublié un enjeu essentiel de la connaissance : l’esprit critique, s’il s’exerce sans méthode, conduit facilement à la crédulité. Le doute a des vertus heuristiques, c’est vrai, mais il peut aussi conduire, plutôt qu’à l’autonomie mentale, au nihilisme cognitif. » – Gérald Bronner, La Démocratie des crédules1
Des gens dont l’intelligence semble pourtant évidente provoquent parfois l’étonnement en exprimant, sans rire, des idées dénuées de tout fondement ou en adhérant à des théories farfelues.
Il est vrai qu’aucune définition de l’intelligence ne fait l’unanimité. La raison en est probablement que ce mot renvoie à des capacités diverses : l’Histoire nous donne de nombreux exemples d’individus unanimement considérés comme intelligents dans des domaines aussi variés que les sciences, les techniques, les arts ou la philosophie.
S’appuyant sur une définition de l’intelligence considérée comme « capacité de raisonner, planifier, résoudre des problèmes, penser de façon abstraite, comprendre des idées complexes, apprendre rapidement, et apprendre de l’expérience », une méta-analyse portant sur 63 études2 conclut que les personnes intelligentes seraient moins enclines à croire que les autres.
Il semble alors logique de penser que les personnes douées d’une intelligence supérieure ont les plus grandes chances de réussir à se prémunir contre les croyances.
Pour définir une intelligence de très haut niveau, il faut évoquer l’étonnante capacité de certains individus à sortir des sentiers battus et des modèles dominants de leur époque, leur capacité à innover, à ne pas se contenter de ce qui semble aller de soi à un moment donné : Galilée, Darwin, Einstein ou encore Kant ou Descartes ont su penser autrement qu’on ne pensait à leur époque. Ils ont remis en question la pensée majoritaire et les explications simplistes. L’intelligence, dans leur cas, s’accompagne de la pensée critique, de la capacité à « résister » intellectuellement à un discours dominant, à une tentative d’endoctrinement et plus généralement à toute forme de dogmatisme.
Cependant, dans un article3, Heather A. Butler, professeure adjointe au département de psychologie de l’université de l’État de Californie, s’interroge sur ce phénomène déroutant : des gens intelligents peuvent dire et faire des choses stupides (foolish things) et croire à des inepties. Elle écrit : « Bien que souvent confondue avec l’intelligence, la pensée critique n’est pas l’intelligence. La pensée critique est un ensemble de compétences cognitives qui nous permettent de penser de manière rationnelle en fonction d’un objectif, et une disposition à utiliser ces compétences lorsque cela est approprié. Les penseurs critiques […] sont des penseurs flexibles qui ont besoin de preuves pour soutenir leurs croyances et reconnaissent les tentatives fallacieuses pour les persuader. La pensée critique signifie la capacité de surmonter toutes sortes de préjugés cognitifs (par exemple, le biais rétrospectif, le biais de confirmation). »
On comprend mieux alors pourquoi des gens même très intelligents puissent croire parfois en des choses bizarres. Le sociologue Gérald Bronner, interviewé récemment par Thomas C. Durand dans le documentaire Les Lois de l’attraction mentale4, dit qu’il était millénariste à ses débuts : « Je sais qu’on peut croire en des choses folles sans être fou. » Il ajoute que c’est une « suite de coïncidences », une « suite de toutes petites choses », qui l’ont conduit à mettre en question cette croyance.
Mais tous ne saisissent pas cette opportunité.
Jimmy Carter et sa lettre aux extraterrestres
Le président américain Jimmy Carter (1977 à 1981) avait déclaré pendant sa campagne électorale : « Si je suis élu président, je ferai en sorte que toutes les informations détenues par ce pays sur les observations d’OVNIs soient disponibles pour le public et les scientifiques. » Il ajoutait cette phrase surprenante, bel exemple de biais de confirmation : « Je suis convaincu que les OVNIs existent parce que j’en ai vu un. »
Allant dans le sens de ses convictions, Jimmy Carter avait envoyé dans la sonde Voyager 1, le 5 septembre 1977, une lettre aux extraterrestres. Après avoir présenté la sonde et la Terre, Jimmy Carter s’adressait à eux ainsi : « Ceci est un présent d’un petit monde éloigné, un témoignage de nos sons, notre science, nos images, notre musique, nos pensées et nos sentiments. Nous tentons de survivre à notre époque afin de pouvoir vivre dans la vôtre. Nous espérons qu’un jour, après avoir résolu les problèmes qui nous font face, nous rejoindrons une communauté de civilisations galactiques. Cet enregistrement représente notre espoir et notre détermination, ainsi que notre bonne volonté dans cet univers si vaste et génial. »
Que Jimmy Carter, Prix Nobel de la paix en 2002, auteur de nombreux livres de littérature politique, ait eu la naïveté d’envoyer des messages aux extraterrestres alors qu’ils n’arriveront pas avant quarante mille ans et que de toute façon nous n’en saurons rien, puisque la sonde ne transmettra plus de données après 2025, laisse songeur.
Il reste que Carter n’est pas le seul à avoir envoyé des messages aux extraterrestres. Le 19 novembre 2017, Science Post annonçait qu’une équipe d’astronomes du SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence) avait envoyé un message radio contenant des informations sur les planètes de notre système solaire, la structure de l’ADN, un dessin d’un être humain, et d’autres informations de base sur la terre et ses habitants en direction d’un système voisin, l’un des plus proches connus pour abriter une planète potentiellement habitable, assez proche pour que nous puissions recevoir une réponse en moins de 25 ans, délai beaucoup plus raisonnable, admettons-le, tout en n’étant pas pour demain.
Étonnant : des scientifiques tels le physicien Stephen Hawking ou l’astronome Dan Werthimer, chercheur SETI à l’université de Californie à Berkeley, mirent en garde les autorités contre les répercussions possibles d’une communication avec les extraterrestres dont « la civilisation capable de recevoir et de comprendre ces messages serait certainement beaucoup plus ancienne et beaucoup plus avancée que la nôtre sur le plan technologique. » Dan Werthimer notait : « C’est comme crier dans une forêt avant de savoir s’il y a des tigres, des lions, des ours ou d’autres animaux dangereux à l’intérieur. »
De quoi nous rendre perplexes…
Par ailleurs, des individus très intelligents peuvent être aveuglés par leurs croyances au point de renoncer à leur liberté critique, de sacrifier leur bonheur et même leur vie.
[…]
« Galilée avait tort : l’Église avait raison »
Un quart des Européens croient que la Terre est au centre et que tout tourne autour
Des croyances irrationnelles peuvent n’être dangereuses que pour celui qui les porte, mais ce n’est pas toujours le cas. Par influence, suggestion, prosélytisme, et peut-être même sans croire eux-mêmes en ce qu’ils disent, certains emploient toute leur intelligence à persuader des esprits portés à croire. Dans le documentaire Les Lois de l’attraction mentale cité plus haut, Henri Broch dit : « Un quart des Européens croient que la Terre est au centre et que tout tourne autour. »
Il y a quelques années, le 6 novembre 2010, s’était tenu à l’Hôtel Garden Inn de South Bend, Indiana, à 150 km de Chicago, un congrès prétendu scientifique, intitulé « Galileo Was Wrong : The Church Was Right », qui avait réuni dix conférenciers se présentant comme « experts ». Ils avaient tenté de prouver que le Soleil tourne autour de la Terre, selon le système géocentrique, alors que depuis Copernic, Galilée, Kepler et Newton, la science a montré que la Terre et les autres planètes tournent autour du Soleil, selon le système héliocentrique. Le sous-titre était prometteur : ce sera la « première » conférence catholique annuelle sur le géocentrisme. Le Dr Robert Sungenis ouvrit le congrès avec une communication qui s’intitulait : « Le géocentrisme : Ils le savent, mais ils le cachent », reprenant le thème récurrent de la théorie du complot. Les autres exposants, tels le Dr Robert Bennett, le Dr John Salza, annoncèrent des thèmes tout aussi renversants, « Preuve scientifique : la terre est au centre de l’univers », « Introduction à la mécanique du géocentrisme » ou encore « Les expériences scientifiques montrent que la terre est immobile au centre de l’univers ». Leurs qualifications étaient entourées du plus grand flou, Ph. D., professeurs… Robert J. Bennett, par exemple, co-organisateur du congrès, annonçait pour sa part un doctorat en relativité générale. Robert Sungenis était le président de Catholic Apologetics International et l’auteur de plusieurs autres livres et articles sur la théologie, la science, la culture et la politique. Il enseigna la physique et les mathématiques pendant plusieurs années, dans des institutions variées. Il prêchait que les physiciens, tels Albert Einstein, Ernst Mach, Edwin Hubble, Fred Hoyle, « et bien d’autres », auraient prouvé, comme il est dit dans la Bible, que le soleil et toutes les planètes tournent autour de la Terre, fixe dans l’espace, immobile et immuable, nourrissant l’espoir que les gens donneront aux Écritures leur juste place et comprendront que la science n’est pas du tout ce qu’on en dit.
Pourtant chaque découverte de la science apporte une nouvelle preuve que le géocentrisme n’est pas une représentation qui correspond à la réalité. Les adeptes du géocentrisme ne peuvent, eux, se référer qu’à la Bible. À chaque argument scientifique, ils répondent : « Il est dit dans la Bible que… ». S’en prendre à Galilée ternit l’image de l’un des fondateurs de la science moderne, qui apporta une des premières preuves de l’héliocentrisme de Copernic, mais aussi permet de laver ce que certains considèrent comme une offense subie lors de la repentance de l’Église en 1992 au sujet de la condamnation de Galilée.
Il a coulé de l’eau sous les ponts depuis Galilée. La science des coperniciens avait en face d’elle les Écritures et la croyance en une vérité révélée et devait livrer bataille contre l’irrationnel. C’était les savants qui étaient persécutés. Aujourd’hui, des irréductibles et des farfelus tentent de manipuler les esprits pour faire passer leurs théories fumeuses : il s’agit toujours du même combat de l’obscurantisme contre la vérité.
Quel pouvoir contre l’obscurantisme ?
S’il est peu probable que l’on puisse augmenter son intelligence, on peut apprendre à développer avec méthode son esprit critique.
Toutes les croyances ne sont pas stupides, absurdes ou dangereuses. Certaines d’entre elles sont constructives comme de croire en soi-même, en ses capacités, en sa valeur, en la vie ou dans les autres.
Le risque de se laisser influencer par des croyances dangereuses au point d’y perdre la raison vient du besoin de trouver coûte que coûte un sens à sa vie. Si les autres nous transmettent une explication qui correspond à notre vision du monde ou qui nous dispense de la chercher par nous-mêmes, la facilité est de l’adopter.
Mais ce qui fait la plus grande force des croyances irrationnelles, c’est qu’elles ont tendance à s’accorder avec nos attentes intuitives.
Depuis toujours, beaucoup croient en des choses bizarres et beaucoup essaient de lutter contre ces croyances. Cela fait un équilibre qui, au fil du temps, ne change pas vraiment. C’est ainsi que l’on peut se battre pour le rationalisme avec l’idée que l’on participe simplement à un équilibre.
Aussi intelligent, cultivé et critique soit-il, aucun être humain n’est à l’abri de croire à quelque ineptie, essentiellement parce qu’il est difficile d’accepter le hasard. Chercher le destin, la fatalité, la conspiration, le complot, l’intention, bonne ou mauvaise, derrière le hasard est un biais universel. « Jamais deux sans trois », « il n’y a pas de fumée sans feu », « qui rit vendredi, dimanche pleurera » etc., sont autant d’expressions qui manifestent notre besoin de causalité et de sens. Les plus grands savants n’y échappent pas. C’est ainsi qu’Einstein écrivit dans sa correspondance à propos de la maladie de sa femme Mileva et de celle de son fils : « Punition bien méritée par moi pour avoir accompli l’acte le plus important de ma vie sans réfléchir : j’ai engendré des enfants avec une personne moralement et physiquement inférieure… »5. La mère d’Albert Einstein avait tenté de le dissuader d’épouser Mileva, qui boitait, en lui prédisant que sa descendance en serait affectée. On aurait attendu de la part de l’inventeur de la Relativité un peu plus de hauteur de vue ! Mais comme le disaient deux de ses biographes, Roger Highfield et Paul Carter, Einstein « était un homme chez qui la combinaison de lucidité intellectuelle et de myopie émotionnelle provoqua bien des déboires dans les vies de ceux qui l’entouraient. »
Au fond, ce qui est en notre pouvoir, ce n’est peut-être pas de faire qu’il y ait moins de gens qui croient en des choses bizarres ou folles, mais qu’il n’y en ait pas plus. Il est très rare que l’on puisse faire changer d’avis ceux qui sont déjà convaincus. Le risque, c’est de renforcer au contraire leurs croyances.
Brigitte Axelrad, Professeure honoraire de philosophie et de psychologie. Extrait du livre Psychologie de la connerie
Dan Ariely, Boris Cyrulnik, Antonio Damasio, Howard Gardner, Daniel Kahneman, Edgar Morin, Tobie Nathan et bien d’autres encore parlent de la connerie. Un monde sans connards est possible !
En fait, non. Désolés.
Mais ça n’empêche pas d’y réfléchir.
La connerie, chacun la connaît : nous la supportons tous au quotidien. C’est un fardeau. Et pourtant les psychologues, spécialistes du comportement humain, n’ont jamais essayé de la définir. Mieux la comprendre pour mieux la combattre, tel est l’objectif de ce livre, même si nous sommes vaincus d’avance. Des psys de tous les pays, mais aussi des philosophes, sociologues et écrivains, nous livrent ici leur vision de la connerie humaine. C’est une première mondiale.
Et peut-être une dernière, profitez-en !
1 Puf, 2013, p. 296.
2 M. Zuckerman, J. Silberman, J. A. Hall, Personality and social psychology review, « The Relation Between Intelligence and Religiosity-A Meta-Analysis and Some Proposed Explanations » (trad. « La relation entre l’intelligence et la religiosité »), université de Rochester, août 2013.
3 H. A. Butler, « Why Do Smart People Do Foolish Things ? Intelligence is not the same as critical thinking and the difference matters », Scientific American, 3 octobre 2017.
4 La Tronche en biais, Les Lois de l’attraction mentale, novembre 2017.
5 J. Stachel, D.C. Cassidy, R. Schulmann (eds.), Collected papers of Albert Einstein, the early years 1899-1902, Princeton University Press, 1987.
A quoi ça sert d’inventer des histoires, alors que la réalité est déjà tellement incroyable ? Réponse, ici.