Éducation religieuse et comportements altruistes

Menée auprès de 1 170 enfants de 5 à 12 ans, dans 6 pays, une étude financée par la Fondation américaine John Templeton mesure si la religion, ainsi qu’on le pense souvent, favorise les comportements prosociaux.

Éducation religieuse et comportements altruistes

La religion nous rend-elle meilleurs ?

Ceux qui le croient risquent d’être profondément perturbés à la lecture des conclusions d’une enquête récente portant sur une population de 1 170 enfants de cinq à douze ans au Canada, en Chine, en Jordanie, en Turquie, en Afrique du Sud, et aux États-Unis, les uns élevés dans des familles religieuses et les autres dans des familles non pratiquantes ou athées[1].

En effet, ces conclusions disent : non, la religion ne nous rend pas meilleurs. Elle a même tendance à affaiblir nos capacités morales à donner généreusement et à pardonner leurs fautes aux autres.

Comment les auteurs de l’enquête sont-ils arrivés à ces conclusions déroutantes ?

Leur but était de vérifier s’il existait des différences significatives entre les enfants élevés dans des familles religieuses et des familles non religieuses du point de vue de leurs comportements altruistes.

Plusieurs religions avaient été sélectionnées au départ. Mais l’enquête n’a pu porter finalement que sur des familles chrétiennes et musulmanes, les familles juives, hindouistes, bouddhistes étant écartées en raison du nombre trop faible de leurs représentants susceptibles d’être interrogés.

Les chercheurs ont d’abord mesuré le niveau de pratique religieuse des parents et leur ont demandé d’évaluer les capacités d’empathie ainsi que la sensibilité à l’injustice de leurs propres enfants.

Comme on pouvait s’y attendre, les parents religieux surestimaient la moralité de leurs enfants, alors que les parents non religieux étaient plus prudents.

Puis les enfants ont été exposés à des petites vidéos montrant d’autres enfants qui se poussaient violemment ou se faisaient trébucher de façon intentionnelle ou pas.

Les chercheurs leur ont demandé d’évaluer le niveau de méchanceté des fautifs et de proposer des punitions.

Les enfants élevés dans une famille de croyants étaient toujours disposés à punir beaucoup plus sévèrement que les enfants venant de familles de non-croyants.

Puis, les chercheurs ont essayé d’évaluer la générosité des enfants.

Ils leur ont demandé de choisir leurs dix autocollants préférés dans un lot de trente, en précisant qu’ils n’en avaient pas assez pour en distribuer à tous leurs petits camarades.

Une fois le choix effectué par les enfants, les chercheurs leur ont demandé s’ils étaient prêts à en céder quelques-uns aux camarades qui n’en avaient pas reçus.

Ils ont constaté que les enfants de parents non religieux étaient plus généreux que les enfants ayant reçu une éducation religieuse[2].

La « licence morale » des religieux

C’est une Fondation religieuse américaine qui avait financé l’enquête. Le présupposé des commanditaires était évidemment qu’elle allait démontrer « scientifiquement » que la religion rend les enfants meilleurs ou plus « moraux », c’est-à-dire plus altruistes, plus empathiques à l’égard des souffrances d’autrui.

Malheureusement pour eux, les faits observés ont complètement démenti leurs attentes. L’absence d’éducation religieuse ne diminue pas la bonté humaine. Elle l’accroît.

Ces faits remettent donc en question, selon les chercheurs, le préjugé selon lequel la religion est indispensable au développement moral des enfants.

Pour expliquer la moindre générosité des enfants de croyants, les chercheurs ont envisagé la possibilité que l’éducation religieuse donnait aux enfants une sorte de « licence morale ».

Ces enfants entretiendraient consciemment ou inconsciemment la croyance qu’avoir été élevés religieusement les immunise à l’égard de l’immoralité. Aucune conduite de leur part, aussi égoïste soit-elle, ne peut entamer leur « capital de moralité » si on peut dire.

Comme toute recherche scientifique, les résultats sont faillibles, ouverts aux objections.

Le fait que l’enquête n’ait pu porter que sur des familles chrétiennes et musulmanes en limite certainement la portée.

Les critères de moralité pourraient être contestés. Être plus altruiste ne signifie pas nécessairement être plus moral. L’altruisme peut être réservé aux plus proches exclusivement (parents, enfants, membres de la même tribu, etc.). Il n’est alors qu’une forme d’égoïsme de groupe.

Les auteurs de l’enquête proposent une explication au fait que les enfants élevés dans des familles religieuses sont moins généreux (la « licence morale »). Mais ils n’essaient pas de savoir pourquoi ils sont plus punitifs.

Cependant, les faits collectés devraient suffire à nous laisser sceptiques sur les bienfaits moraux de l’éducation religieuse.

Ils semblent montrer en effet qu’on peut être moral sans être religieux, ou religieux sans être moral, si, bien sûr, on retient comme critère de moralité la générosité à l’égard des autres, même lorsqu’ils ont commis des fautes.

La morale sans la religion

Certains philosophes rationalistes estiment désormais qu’une réévaluation du rôle de la religion dans les sociétés contemporaines est nécessaire. Ils semblent prôner une nouvelle alliance entre la gauche et la religion contre un ennemi commun : le monstre néolibéral qui serait en train de détruire le lien social, le « vivre ensemble[3] ».

Dans les médias, des penseurs martèlent que les humains ont, par nature, un besoin profond de « transcendance », de foi dans une puissance « supérieure », de « verticalité », de religion, et que faute de satisfaire ce besoin, nos sociétés sont condamnées à l’égoïsme, à la violence et même, disent les plus catastrophistes, à la disparition.

Les études sur les comportements de ces enfants de croyants et de non-croyants nous invitent à penser exactement le contraire.

Elles montrent qu’on a tendance à être plus fermé, plus violent, moins généreux à l’égard des autres, quand on a reçu une éducation religieuse.

Elles n’affirment évidemment pas que la bonté humaine n’existe pas chez les enfants de croyants.

Au-delà de leurs limites méthodologiques, ce qu’elles nous invitent à reconnaître seulement, c’est qu’on peut parfaitement être bon sans être passé par une éducation religieuse.

Mais cela, nous le savions déjà[4].

Extrait de « Mon dîner chez les cannibales et autres chroniques sur le monde d’aujourd’hui – Journal philosophique », Ruwen Ogien

[1] Jean Decety, Jason M. Cowell, Kang Lee, Randa Mahasneh, Susan Malcolm-Smith, Bilge Selcuk, Xinyue Zhou, « The Negative Association Between Religiouness and Children’s Altruism Across the World », Current Biology, 25,

[2] Hervé Morin, « Les enfants non religieux sont plus altruistes que ceux élevés dans une famille de croyants », Le Monde, 5 novembre 2015.

[3] Jürgen Habermas, Entre naturalisme et religion. Les défis de la démocratie, (2005), trad. Christian Bouchindhomme, Paris, Gallimard, 2008.

[4] Paru dans le blog LibéRation de Philo, libération.fr, 20 novembre 2015.

© Photo Pixabay

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