La sagesse du lâcher-prise

Arnaud Desjardins, maître français de l’Advaïta Vedanta, n’a pas son pareil pour trouver les mots justes qui nous permettent de comprendre des concepts souvent difficiles.

Vous ne vous sentirez pas aimé tant que vous ne vous aimerez pas vous-même. Souvenez-vous : on ne peut aimer que quand on n’a plus besoin d’être aimé parce qu’il n’y a plus de peur à l’arrière-plan, on n’a plus besoin d’être aimé quand on a vraiment été aimé par soi-même.
La première personne dont l’amour vous est nécessaire, c’est vous tel que vous êtes, incomplet, imparfait.
On ne peut aimer soi-même et on ne peut ressentir l’amour d’un autre être humain que quand on n’a plus besoin d’être aimé que quand on s’est vraiment senti aimé.
Swâmiji m’a dit : « Vous êtes un mendiant, vous mendiez l’amour »
Au lieu de mendier l’amour auprès d’êtres qui ne sont pas capables d’aimer parce qu’eux-mêmes ont trop besoin de l’être, allons donc mendier l’amour auprès de ceux qui n’ont plus besoin d’être aimés, qui se suffisent totalement à eux-mêmes et qui, par conséquent, sont capables d’aimer vraiment.

Extrait de « Pour une vie réussie, un amour réussi »

Si vous ne connaissez pas ce grand enseignant qui nous a quittés en 2011, je vous invite à étudier l’œuvre monumentale qu’il nous a laissée et qui invite à emprunter une voie spirituelle authentique. Vous y trouverez une précieuse aide pour cheminer vers une vie de sagesse et de réalisation

Commencez par cette émission Les Racines du Ciel consacrée à la transformation de soi. Un entretien autour de son livre Oui, chacun de nous peut se transformer : dialogue avec Jean-Louis Cianni paru chez Albin Michel en 2010.

Laissez-vous, ensuite, guider par votre intuition pour choisir le livre ou le film que vous aurez envie de découvrir.

Dans l’article qui suit, extrait d’une interview parue dans le magazine Clés, Arnaud Desjardins nous explique une notion essentielle, souvent mal comprise et mal enseignée, le lâcher-prise.

Lâcher-prise et être là

Via le blog : la voie de la sagesse

Arnaud Desjardins publie, pour l’anniversaire de ses quatre-vingt ans, un ouvrage essentiel, Bienvenue sur la Voie, où il fait la synthèse des conseils que l’on peut donner à toute personne engagée dans une quête intérieure et spirituelle afin d’éviter pièges et malentendus. Il nous a paru important d’avoir son témoignage sur ce mot-valise : lâcher-prise.

Propos recueillis par Marc de Smedt.

Nouvelles Clés : Il est de bon ton, dans certains milieux intéressés par le développement personnel, de cultiver le lâcher-prise. Cette expression, devenue à la mode, est en fait une formule zen qui signifie qu’il faut savoir cesser d’être le jouet de ce qui nous habite, pensées, émotions, stress, crispations et dénis en tous genres. Et on peut comprendre que nos contemporains, êtres perturbés vivant dans une époque qui leur semble difficile, lui trouvent du charme. Comment donc définiriez-vous ce fameux lâcher-prise et y-a-t-il différentes façons de l’appréhender ?

Arnaud Desjardins : Le lâcher-prise est un geste intérieur qui interfère avec notre manière habituelle de réagir. Certains lâcher-prise nécessitent une grande force de conviction, d’autres sont plus aisés à opérer. Puis vient un jour où nous constatons que le fait de lâcher est devenu permanent. On pourrait même dire que le lâcher-prise est devenu inutile car il n’y a plus de prise, plus d’appropriation de la réalité.

Une détente s’est établie, nous sommes en contact avec la réalité, instant après instant, sans projections sur le futur, ce qui nous permet d’accomplir les actions qui nous paraissent justes et appropriées, dans le relatif. L’action est toujours relative, d’une part parce qu’elle s’insère dans un ensemble de chaînes de causes et d’effets que nous ne maîtrisons pas, ou très partiellement, et d’autre part parce que nous-mêmes avons des capacités relatives.

Toute action engendre des conséquences, certaines que nous pourrons prévoir, d’autres que nous ne pourrons pas prévoir. La pratique consiste donc aussi dans un lâcher-prise avant l’action. Un événement se produit, une situation se présente, qui peut être extérieure à nous ou intérieure (comme un vertige, un mal au ventre, une angoisse diffuse). L’essentiel, c’est la manière dont chacun se situe face à ce vécu intime que l’existence produit en lui. Nous avons la possibilité d’accueillir cette réaction, parce que c’est la vérité de l’instant, mais sans nous l’approprier. Celui dont j’ai été l’élève, Swâmi Prajnânpad, disait à ce sujet :

« La plaque photographique prend, le miroir accueille mais ne prend pas. »

Les événements, quels qu’ils soient, produisent en nous des émotions en tous genres, heureuses ou malheureuses, plus ou moins intenses. Si nous apprenons peu à peu cette attitude de lâcher-prise, celle-ci finit par imprégner tout l’existence et crée en nous une grande détente : l’événement se présente, mais la réaction mécanique ne se produit plus. Les émotions font place à l’équanimité !

Nouvelles Clés : Vous voulez dire que même la réaction physique ne se fait plus ? Je m’explique : si l’on a une angoisse, on peut en effet déconnecter son mental de celle-ci, mais qu’en est-il de la boule au ventre qu’elle a, par exemple, occasionnée ?

Arnaud Desjardins : À la place de la réaction habituelle de l’ego, du « ça j’aime ou ça je n’aime pas », il y a un sentiment qui devient stable d’ouverture du cœur. Les aspects mentaux, émotionnels et physiologiques sont interconnectés et, peu à peu, cet effort de lâcher-prise va contredire la force d’inertie des habitudes qui font que nous sommes tout le temps en réaction face aux événements. Et petit à petit, nous allons ainsi vers l’équanimité. Mais il est évident que, pendant longtemps, l’existence aura encore le pouvoir de produire en nous des réactions : oh oui ! Et une émotion heureuse, oh non ! Et une émotion malheureuse, douloureuse, réactions dont nous faisons une affaire personnelle.

Il faut en fait sans cesse se poser la question de savoir comment nous nous situons par rapport à ces réactions physiques, émotionnelles et mentales ? Comment lâchons-nous prise face à ces moments heureux ou malheureux, quand nous sommes de bonne ou de mauvaise humeur ? La pratique de ce lâcher-prise met en fait immédiatement en cause l’égocentrisme. Elle amène un abandon de notre vouloir personnel et cet abandon produit une détente. C’est à partir de celle-ci que notre action va à présent s’accomplir, et non à partir d’une réaction épidermique et mécanique fondée sur nos anciens schémas de fonctionnement.

C’est la soumission à ce qui est et non à ce qui devrait être, chère à tous les grands maîtres zen, soufis, hindous ou chrétiens, c’est le célèbre : « Que Ta volonté soit faite et non la mienne. » À ce moment-là il n’y a plus la séparation, de dualité, entre moi et la réalité du moment.

Nouvelles Clés : Vous commencez votre livre en disant qu’il faut se méfier des mots. Et on se souvient des dégâts occasionnés dans les milieux branchés par le fameux « ici et maintenant » qui était devenu un prétexte à ne rien engager, ne pas faire de projets constructifs, etc. Ne croyez-vous pas qu’un autre mot-valise comme « lâcher-prise » risque d’être confondu par certains avec « laisser-aller » ?

Arnaud Desjardins : Cette question en pose une autre plus générale : quel sens les lecteurs ou auditeurs d’un mot comme celui-ci lui donnent-ils ? Comment cette attitude est-elle comprise ? Dans ce genre de sujet, on ne sera jamais assez précis sur les questions de vocabulaire. Quand on décrit les pièces d’une machine dans le langage d’un mécanicien, on sait de quoi on parle. Il faut donc bien s’entendre sur ce que veut dire lâcher-prise. Mon désespoir, ma suffocation face à un événement grave et brutal ne changera rien aux choses. Au contraire, plus il va y avoir émotion non contrôlée, moins il y aura d’efficacité dans l’action, moins ma réponse sera appropriée à la demande de la situation. Par contre, si je lâche prise face à ma panique, si je ne m’affole pas, si je n’en rajoute pas, je vais alors être plus lucide et plus compétent pour résoudre les choses.

En aucun cas le mot lâcher-prise n’exclut l’action.

Swâmi Prajnânpad avait cette belle formule : « Intérieurement, activement passif. Extérieurement, passivement actif », donc, calmement attentif à l’intérieur de soi, et tranquillement actif à l’extérieur.

L’état de paix avec le contexte extérieur créé par la paix intérieure n’exclut en rien l’action ! En fait, dans la vie, nous nous trouvons dans la situation de quelqu’un qui descend un torrent en rafting ou en kayak : pour celui qui est crispé et angoissé, cette descente va être un véritable enfer. En revanche, celui qui va avec le courant de manière détendue accomplit la même descente avec bonheur et aborde les difficultés avec souplesse. Tous les maîtres le disent : notre erreur est de porter inutilement sur nos épaules le fardeau de notre existence. Nous ne pouvons pas être toujours les plus forts, nos actions produisent ou ne produisent pas les effets souhaités, les interactions de causes et d’effets sont indépendantes de nous et interfèrent avec ce que nous avons tenté pour renforcer le succès ou au contraire annihiler nos efforts.

Cette séparation du moi – mon mode personnel de crainte et d’espoir – avec le courant de la réalité se révèle comme le plus gros obstacle à une vie épanouie, sereine, pacifiée. Cette séparation doit donc être dissoute. Il y a celui qui est emporté et ballotté par le courant, et celui qui ne fait qu’un avec lui. Formulé différemment, on peut dire que si je ne lâche pas prise, les événements se produisent et je suis emporté par eux ; si je lâche prise, j’adhère à ces événements, dans une unité de corps et d’esprit avec eux.

Nouvelles Clés : Vous citez d’ailleurs dans votre livre une belle phrase de Swâmi Prajnânpad à cet égard : Let go and go with, « laissez aller et allez avec ». Mais, est-ce que le lâcher-prise ne peut pas devenir une stratégie ? Vous dites d’ailleurs : « Si vous voulez quelque chose et que vous êtes unifié dans ce vouloir, vous l’attirez. » La quête de sagesse peut-elle se transformer en ruse ?

Arnaud Desjardins : Je vais utiliser pour répondre le terme ego, qui est très à la mode mais dont le contenu crée souvent des malentendus. Ce serait déjà plus clair d’employer le terme égocentrisme. Pour vraiment comprendre le terme ego, il faudrait le traduire par « moi et… l’ego » est synonyme de dualité : il s’est mis en place peu à peu dans la petite enfance en nous rendant compte que le reste du monde n’est pas notre prolongement, et ce, dès la séparation avec la mère : nous sommes tous d’anciens bébés, comme disait Devos.

L’expérience de l’ego, à partir de cette constatation, va se diviser en ce que je ressens comme rassurant et ce que je ressens comme pénible. Donc l’ego va essayer de faire triompher par tous les moyens ce que j’aime et d’amoindrir le plus possible ce que je n’aime pas dans le courant de ma propre existence.

Tout le monde a bien sûr l’expérience des difficultés rencontrées lorsque la vie semble détruire ce que nous avons commencé à bâtir, et les refus et crispations que cela engendre. Et l’ego va édifier face à cela de formidables défenses, refusant tout ce qui n’entre pas dans son cadre. Donc, pour répondre à votre question, tout ce que l’ego va entendre et lire concernant la spiritualité et une autre façon d’exister, il va le faire entrer dans son cadre. Tout ce qui concerne la dissolution de la séparation, l’ego va l’utiliser à l’intérieur de la séparation, en le mettant à son propre service ! Il faut donc trouver une voie possible pour dépasser ce mécanisme dualiste qui nous empêchera toujours d’être unifiés et établis dans un lâcher-prise permanent.

Nouvelles Clés : Il faut donc, et vous insistez là-dessus, une sincérité et un engagement intérieur fort, pour arriver à contourner les permanentes et perverses voies de l’ego.

Arnaud Desjardins : Oui, il faut réussir non seulement à prendre conscience de ce processus et créer d’abord une amélioration, mais aussi en arriver à une véritable métamorphose de notre être : comme le disent tous les mystiques chrétiens, hindous, soufis, bouddhistes, il faut mourir à soi-même à un niveau pour renaître à un autre niveau : on trouve ce genre d’expression dans toute la littérature des témoignages spirituels.

Nouvelles Clés : Votre dernier chapitre insiste d’ailleurs assez radicalement sur ce point.

Arnaud Desjardins : Oui. Beaucoup de personnes qui sont attirées par ce que l’on met sous le vocable « spirituel », et par les différentes formes de psychothérapies à visée spirituelle, ne se contentent pas de soigner tel ou tel symptôme pathologique précis : elles veulent aussi atteindre en elles-mêmes un espace plus vaste. Mais elles ne se donnent pas les moyens de l’atteindre. Il y a là un grand malentendu, car elles continuent à ramener les expériences nouvelles à l’intérieur du système et du cadre ancien délimités par leur égocentrisme.

Il faut donc trouver une pratique qui ne puisse pas être récupérée par l’ego, et celle-ci consiste à s’incliner intérieurement, à reconnaître que ce qui est. Toujours agir à partir de ce qui est et non pas à partir de ce qui, selon moi, devrait être.

Or nous fonctionnons sans cesse suivant le mode du « c’est pas juste, il ou elle aurait dû faire ou dire ceci ou cela, tel fait aurait dû se passer autrement, etc. » Mais le lâcher-prise face à ce mode erroné de fonctionnement n’exclut en aucun cas l’action : celle-ci émane simplement d’une tout autre source.

Ce n’est plus le moi qui veut, c’est la situation qui demande une réponse opportune.

Nouvelles Clés : Vous dites : « Le monde ne correspondra jamais avec votre monde » et concluez sur une double formule très forte que je résume : la psychothérapie guérit l’ego et le mental, la voie guérit de l’ego et du mental.

Arnaud Desjardins : Imaginez le nombre d’amis que je me fais parmi les psy en disant cela ! (rires – Arnaud Desjardins va alors à sa bibliothèque et y prend un livre). Dans Les Dialogues de St Grégoire le Grand, sur la vie et les miracles du Bienheureux St Benoît, qui fut le fondateur des bénédictins et des cisterciens, il est dit ceci : « Chaque fois qu’une préoccupation trop vive nous entraîne hors de nous, nous restons bien nous-mêmes, et pourtant nous ne sommes plus avec nous-mêmes : nous nous perdons de vue et nous nous répandons dans les choses extérieures. » Un texte que ne renierait pas un maître soufi, zen ou hindou !

Faut-il vivre toujours les choses de façon égotique sur fond de vouloir, de refus et de crispation, et faire empirer les choses, ou vivre et agir sur fond de confiance et d’abandon ? Toute la question est là.

Nouvelles Clés : Vous-même êtes passé par là puisque vous racontez qu’après seize ans de pratiques spirituelles, de succès médiatiques et professionnels, lorsque vous rencontrez Swâmi Prajnânpad, il vous fait parler de vos expériences diverses et vous dit ensuite : « It is a status of a slave », c’est un statut d’esclave.

Arnaud Desjardins : Oui, il m’a montré qu’après toutes ces années de travail avec les groupes Gurdjieff, de lectures, de rencontres avec une sainte comme Ma Ananda Mayi, ou avec des maîtres soufis en Afghanistan, des maîtres tibétains ou zen, de grands yogis… j’étais toujours ce petit personnage prêt à s’enflammer, à réagir, à refuser, à râler, à vouloir que les choses se passent comme je le voulais et non comme elles étaient. Je restais en effet esclave de l’ego et de ses limites. Je correspondais toujours à cette autre définition de Swâmiji : « L’homme est une marionnette dont les aléas de l’existence tirent les fils… »

Nouvelles Clés : Une dernière définition sur le lâcher-prise ?

Arnaud Desjardins : Ne ramez plus, ne nagez plus, faites la planche ! (Rire homérique). Je blague : disons qu’il faut à la fois être dans l’action et dans la non-action. C’est un concept mal compris. La formule des bouddhistes est très connue : « Ni refus ni appropriation » de ce qui se présente. Ni rejet ni saisie.

Via le blog : la voie de la sagesse

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